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Yehudi Menuhin

par Véronique Martin

« Il est curieux, voire un peu déconcertant, de s’apercevoir qu’on a accompli quelque chose qui ressemble à une

destinée ».

Voyage inachevé par Yehudi Menuhin 1977

 

Yehudi Menuhin est l’un des violonistes les plus populaires de l’histoire de la musique qui a, durant toute son existence, cherché à servir la paix en dédiant son âme musicale aux hommes et aux cultures du monde.

Le violon fut l’autel sur lequel officia son génie.

Il est entré dans la légende de son vivant.

 

Né le 22 avril 1916 à New York, Yehudi Menuhin appartient à l’élite juive du violon qui prend ses racines en Russie. Son père enseigne l’hébreu en Amérique. Il consacrera son temps à la carrière de son fils prodige.

Agé de deux ans, Yehudi Menuhin assiste aux concerts de l’Orchestre symphonique de San Francisco, il est fasciné par le récital du premier violon, Louis Persinger, avec lequel il commencera son initiation à cinq ans, affirmant ainsi un caractère déterminé et intuitif qui le conduira jusqu’aux plus hautes marches de la renommée.

A sept ans, il commence sa carrière à San Francisco en interprétant la Symphonie espagnole du compositeur français Edouard Lalo. A onze ans, il joue au Carnegie Hall sous la direction de Fritz Busch et obtient un succès immense.

Il part en tournée à douze ans, réalise une tournée mondiale qui le conduit dans une soixantaine de villes. On se bouscule pour entendre l’enfant virtuose qui, conscient de l’étude et de l’apprentissage, travaille son violon à Paris avec celui qui restera à ses yeux son plus grand maître, Georges Enesco, violoniste et compositeur roumain, qu’il nomme avec admiration l’Absolu. Enesco est l’unique pédagogue qui insuffle par le seul exemple l’authenticité de la vibration exceptionnelle de l’esprit du violon. Il lui apprend à en maîtriser les innombrables modulations, du recueillement au frémissement jusqu’à l’effervescence brûlante de la passion afin de cultiver les sortilèges du son de cet instrument né dans les peuplades mongoles et tsiganes.

 

De son concert historique à Berlin en 1929, on retiendra qu’il fut salué par Albert Einstein qui s’exclama « Maintenant, je sais qu’il y a un Dieu au ciel ! »

 

Son premier Stradivarius, le Prince Khevenhüller lui fut offert à cette époque.

En Italie, pays de la mélodie, joyau de la lutherie, Antonio Stradivari et Guarneri del Gesù façonnent la perfection au XVIIe siècle, conscients de l’idéale élégance du violon qui, dans la géométrie sacrée, possède les proportions esthétiques du nombre d’or.

Du dessin des volutes au travail des voûtes, Stradivarius - son nom latinisé - allonge le corps du violon avant de déposer au cœur discret de l’œuvre l’ultime pièce d’épicéa nommée âme qui offre à l’instrument sa vibration et sa résonance.

Lorsque la perfection de l’instrument s’accorde à l’étincelle divine du violoniste, l’harmonie sublimée rejoint le ciel en transcendant le son.

Sous les doigts de Yehudi Menuhin, au diapason de son esprit, naissent les subtilités de quatre cordes qu’il sait faire vibrer dans l’inépuisable langage du cœur : la corde de sol qu’il décrit profonde et grave, le ré, passionné et vif, le la qui s’épanouit dans l’espace et le brillant mi aux notes éclatantes dans la palette inépuisable de sons que Menuhin transmet avec sa particulière noblesse aristocratique.

Il préféra, durant ses dernières années, le Guarnerius del Gesù, dont la sonorité profonde et complète enchante son âme et saupoudre le son d’ivresses pailletées.

 

Confronté au choc de la guerre, Yehudi Menuhin réagit en donnant, de 1942 à 1945 plus de cinq cents concerts pour les Forces alliées de la Croix-Rouge dans des conditions souvent aventureuses, en Amérique et en Europe. L’armistice à peine signé, il se produit dans les camps de concentration tout juste libérés accompagné par le compositeur britannique Benjamin Britten, joue à la Libération à l’Opéra de Paris sous la baguette du chef d’orchestre Charles Munch. Il parcourt les scènes des villes libérées, Budapest, Bucarest, Bruxelles, Moscou et Berlin en ruines.

Le compositeur Béla Bartók lui écrit une Sonate pour violon seul en 1944 dont l’inspiration terrienne hongroise exige une grande virtuosité.

Il entreprend une carrière de chef d’orchestre à Dallas en 1942. Diriger complète l’émotion solitaire qu’accompagne le violoniste. Conduire l’orchestre exige le fluide dialogue et la souplesse créatrice communiquée à chacun des musiciens, les enfiévrant jusqu’au dépassement. Si la baguette du chef d’orchestre est la fille de l’archet, Yehudi Menuhin y excelle et transmet sa fulgurante conscience dans le prisme des faisceaux des talents individuels.

 

En 1950, il entreprend une tournée en Israël et en Palestine afin d’œuvrer à la réconciliation entre les peuples et verse les recettes de ses concerts en Inde à des fonds de secours, renonce à ses cachets au profit d’enfants allemands réfugiés. Inlassablement, jusqu’au bout de sa vie, il œuvre pour rapprocher les hommes et guérir leurs maux par la musique tant elle symbolise le langage universel qui apaise la détresse.

Ses efforts pour réconcilier les hommes par son art et son aide attentive afin de soulager la misérable condition de la plupart d’entre eux lui valent d’être invité par l’ONU à la célébration de l’anniversaire de la Déclaration des Droits de l’homme comme le seul artiste pouvant représenter le monde entier.

 

Yehudi Menuhin se voue aux causes justes, utilise sa notoriété et s’engage personnellement à Amnesty International, créé des fondations éponymes à Paris, Bruxelles et ailleurs, des écoles telle la School of Music au Royaume-Uni qui vise à développer l’aisance physique, la maîtrise instrumentale et spirituelle qui sont l’aspiration de tout violoniste, ouvre des établissements pour les jeunes artistes, réalise des films avec ses élèves, s’occupe du malheur animal et favorise l’essor des produits biologiques.

Après l’initiale création du festival de Gstaad en Suisse suivie de beaucoup d’autres dans le monde, il créé à Paris la fondation Yehudi Menuhin.

Il lance MUS-E, en 1994, programme européen d’éducation artistique, source d’équilibre et de tolérance qui existe encore aujourd’hui dans douze pays européens.

Il rejoint l’Unesco, préside le Conseil international de la musique, multipliant les démarches humanitaires afin de contribuer à rapprocher les musiciens entre eux.

 

Ses horizons musicaux l’entraînent de pays en pays, son chemin de vie croise les intelligentes voies de compositeurs, interprètes, chefs d’orchestre connus. Yehudi Menuhin accompagne Glenn Gould, le pianiste Paul Coker, il harmonise sa partition intérieure avec David Oïstrakh, Mstislav Rostropovitch, Stéphane Grappelli et retrouve la flamme tsigane avec Ravi Shankar dans des concerts dédiés à l’ensorcelante musique de ceux qui, parés de l’errance de l’humanité, cherchent un sentier de lumière au bord des failles guerrières afin d’y apporter la paix et sera au service des compositeurs Béla Bartók, Ernest Bloch, Frank Martin.

Il a interprété et réinventé les plus grands compositeurs, appelés les 3 B, Bach, Beethoven, Brahms, auxquels nous pourrions ajouter Bartók et Boulez, ceux qui parlent aux idéaux du monde entier.

 

Citoyen suisse, britannique, il est avant tout citoyen du monde. Chevalier commandeur honoraire de l’Ordre de l’Empire britannique en 1965, il a le privilège d’être anobli par la Reine du Royaume-Uni en 1993 - life peer titre non héréditaire. A ce titre, il siège à la Chambre des Lords sous le nom de Lord Menuhin of Stoke of Abernon,

 

L’actrice et danseuse Diana Gould fut sa seconde épouse. L’un de ses deux fils, Jeremy, donnera son premier concert de piano à l’âge de treize ans. Yehudi Menuhin l’accompagnera durant toute son existence.

 

Yehudi Menuhin s’en est allé le 12 mars 1999 à Berlin.

Il jouait du violon avec l’élégance de l’oiseau qui vole dans le ciel.

Yehudi Menuhin a rejoint les étoiles.

Véronique Martin

20 juillet 2020

musique

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